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Wido Bourel

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Caestre et la chapelle des Trois Vierges

Dans son livre Archives du Nord, Marguerite Yourcenar, la célèbre romancière, parle de Caestre, petite patrie de son ancêtre le plus éloigné, comme, je cite, d’ “une agglomération quelconque”.

Nous avons connu Marguerite mieux inspirée. Car Caestre est loin d’un village quelconque s’il est regardé dans son contexte historique qui est le contexte flamand. C’est probablement aussi l’un des sites les plus ancien de notre Westhoek.

Et l’histoire de la chapelle des Trois Vierges qui nous interpelle aujourd’hui est le meilleur fil du temps pour parcourir la vie de ce village flamand et de ses habitants jusque dans son plus lointain passé. Elle est un lieu de mémoire témoin de la vie de tous les Caestrois.

Comme tous les enfants de Caestre j’ai dû en faire plus de mille fois le tour à vélo. J’y ai suivi le catéchisme avec Mme Devos, et participé à tous les Ommegang de ma jeunesse comme membre de l’harmonie de Caestre.

Mais il y a quarante ans elle joua aussi un röle primordial dans la découverte de mes racines flamandes et de ma passion pour la langue et la culture néerlandaise.

C’est ici que j’ai découvert que notre flamand était une langue à part entière que l’on pouvait écrire comme les textes des tableaux de la chapelle. Ce n’est certainement pas ce qu’on nous avait appris dan les écoles de la douce France.

Et c’est en faisant des recherches sur la chapelle que j’ai pris goût pour l’histoire des anciens Pays-Bas.

Quelques années plus tard j’ai appris le néerlandais, choix déterminant pour ma carrière et le reste de ma vie. J’organisais également – et avec succès – un cours de néerlandais dans l’ancien mairie de Caestre, grâce aux bons soins de notre maire honoraire, Mme M. F. Gournay, ici présente aujourd’hui, et que je tiens à remercier pour tout ce qu’elle a fait pour Caestre.

Du nom de la chapelle et autres toponymes

Le regretté folkloriste flamand Antoon Lowyck, qui a beaucoup fait pour – et écrit sur – la chapelle de Caestre affirme à juste titre que la chapelle des Trois Vierges est un des lieux de culte les plus anciens et les plus importants du Westhoek.

Toutes les sources écrites font le récit parfois très romancé de la légende des Trois Vierges depuis sa christianisation au temps de Charlemagne. Mais presque personne ne se préoccupe de savoir ce qu’il en était avant la christianisation du site.

On trouve une première réponse sur les cartes des grands cartographes flamands du XVIIe siècle qui mentionnent presque toujours séparément le nom de la chapelle de Caestre. Voilà qui confirme son importance à l’époque.

Ces cartes portent le nom de ” Drie Maagdenkapel” ou ” chapelle des Trois Vierges” et non pas ” Notre Dame de Grâce”. Cela signifie clairement que le culte des origines est bien un culte consacré aux Trois Vierges.

Notre Dame de Grâce joue bien entendu un röle christianisateur dans le récit de la légende et dans la construction de la chapelle. Mais même les anciennes sources chrétiennes précisent que l’autel qui lui était consacré dans la chapelle des origines, était plus petit que celui des Trois Vierges.

C’est seulement petit à petit, à partir de la Contre-réforme et avec la francisation du nom de la chapelle au XIXe siècle, que l’on a profité pour faire la passation du nom en chapelle Notre Dame de Grâce. Il est donc souhaitable que le nom de la chapelle en français redevienne très officiellement ” chapelle des Trois Vierges” conformément à son nom flamand.

Sur les anciennes cartes de Flandre, celles de Sanderus comme celles de Blaeu, plusieurs autres toponymes flamands ont un lien indirect avec la chapelle :

  • De Commanderij, la commanderie des templiers et plus tard des chevaliers de Malte, qui était devenue propriétaire de la chapelle, intéressante par les revenus que rapportaient les nombreux pélerins et les terres de la chapelle.
  • De Caestermeulen, le moulin de Caestre, également propriété de la commanderie.
  • Het Oudeneem kasteel, seigneurie importante située à l’emplacement actuel de la ferme Willems, et ou avait habité, selon la tradition populaire, le chevalier aveugle de la légende.

Et peut être que le Heilige wijngaerde, la sainte vigne, toponyme disparu aujourd’hui avait également un rapport indirect avec les terres de la chapelle et, en tous cas, avec la cure de Caestre.

Je cite encore les tononymes flamands Cruyspopeliermeulen, le moulin du peuplier pas très loin d’ici (peuplier qui semble encore avoir existé jusqu’à la deuxième guerre, période à laquelle il aurait été définitivement endommagé par un char, puis abattu) ; de Moerbeeckhofmeulen, le moulin de la ferme de Moerbeeck, et la Roel Cruyse , la croix d’un prénommé Roel, déformé plus tard en croix rouge.

Je plaide également ici pour que la municipalité de Caestre prenne des initiatives pour faire réapparaître tous ces toponymes flamands sur des panneaux bilingues, comme c’est le cas en Frise ou en Bretagne.

Un site païen

Coment peut-on parler de Caestre comme d’une agglomération quelconque ? Il est impossible de dater précisément les origines du culte des Trois Sœurs de Caestre mais il est lié à un très ancien culte indo-européen aux matrones que l’on retrouve dans toutes les mythologies européennes et qui remonte à avant l’époque romaine.

Selon la tradition populaire ces Trois Sœurs habitaient les sources et les rivières ainsi que sous la terre. Aux solstices, ou lors d’événements importants, elles apparaissaient quelques instants aux mortels. Les vierges sages prédisaient l’avenir et décidaient de la destinée de tous les mortels.

Chez les germains ces trois sœurs s’appellent les Trois Nornes et nous savons également que le culte aux Trois Sœurs est présent un peu partout dans la religion celtique.

Il existe d’autres lieux de culte aux Trois Sœurs en Flandre et en Wallonie mais aussi en Alsace et en Allemagne. Je pense à Brustem dans le Limbourg ou à Hakkendover dans le Brabant. Je pense aussi à la région de l’Eifel et de la vallée du Rhin ou plus de 1000 sites et toponymes ont été recensés qui ont un rapport direct avec le culte des Trois Sœurs.

Mais le culte aux Trois Vierges de Caestre est de toute évidence le plus important de tout l’ancien comté de Flandre.

Les origines de Caestre

Mieux encore, mon hypothèse est que les origines de Caestre ont certainement leur source dans ce lieu de culte aux Trois Vierges.

Le centre du village fait sans doute penser à un camp. Mais,en y regardant de plus prêt, ce camp ressemble plus à une forme légèrement trapézoïdale dont les dimensions et la surface se rapprochent de ce que l’on appelle une Vierheckeschanz dans les Pays germaniques.

Le terme de Vierheckeschanz est synonyme d’enclos sacré, un terrain souvent entouré de fossés et avec, dans son enceinte, une sorte de petit temple sacré. A Caestre, ce lieu sacré était consacré aux Trois Matrones et c’est à sa place que la chapelle sera construite plus tard.

L’emplacement de la tombe des trois vierges désigne en fait l’endroit ou se trouvait une fosse dans la terre, sorte d’accès au monde souterrain qui servait à des sacrifices d’animaux et dans lequel on offrait aussi des armes en hommage aux Trois Vierges. Ceci correspond aux objets trouvés lors de fouilles effectuées dans la chapelle au XIX e siècle, mais aussi à des découvertes faites dans plusieurs sites consacrés aux Trois Vierges à travers l’Europe.

A l’époque de la christianisation l’Eglise fit le choix de rependre à son compte les vieux sites païens honorés par nos ancêtres. C’est la raison pour laquelle on retrouve Trois Sœurs un peu partout en Europe, soit disant assassinées ou enterrées dans les sites ou elles furent célébrées à l’époque préchrétienne. Il est facile de deviner dans cette symbolique la victoire du christianisme sur le paganisme.

Il est plus que temps que des fouilles sérieuses soient organisées dans et autour de la chapelle, ainsi que dans le village de Caestre.

La mémoire du village

La chapelle des Trois Vierges et les formes de dévotion populaire qui s’y rattachent à travers les siècles sont la mémoire du village de Caestre et de ses habitants.

Essayez un instant d’imaginer la vie à Caestre au temps de Charlemagne à l’époque de la construction de la chapelle. Cette communauté devait encore être très modeste et le petit cimetière qui l’entourait, et qui disparut seulement au XVIIIe siècle, devait sans doute suffire pour accueillir les morts du village.

Imaginez-vous aussi Caestre comme lieu de pèlerinage très fréquenté après que onze miracles y eurent été constatés .

Pensez à la grande peur des villageois lorsqu’au XVIe siècle, les gueux des bois détruirent le mausolée des trois vierges et le patrimoine de la chapelle , ou encore un siècle plus tard lorsque les Caestrois durent fuir devant l’ennemi, l’ennemi français cette fois, dont les troupes saccagèrent plusieurs fois la chapelle et le village.

Un peu plus d’un siècle plus tard, avec la révolution française, les ornements et l’argenterie seront confisqués et quelques années après, la chapelle sera pillée par les révolutionnaires. En 1794 elle est interdite aux offices et utilisée comme höpital militaire et comme écurie.

En 1790 le curé de Caestre Witsoet écrit encore une pièce de théâtre ” De Drie Maegden”, les Trois Vierges, pour la chambre de rhétorique locale. Mais, peu de temps après, dans le livre des comptes de la cure écrit en excellent néerlandais, il décrit ses angoisses et son combat contre ceux qui au nom de la liberté de l’égalité et de la fraternité veulent lui voler ses biens et le menacent de mort . Il sera arrêté quelque temps plus tard et décédera dans les geöles révolutionnaires.

Après ces temps mouvementés la chapelle sera restituée au culte. Et l’ommegang retrouvera sa splendeur d’antan au XIX e siècle. Mais les Caestrois devront à nouveau accepter qu’un évêque trop zélé bannisse de l’ommegang plusieurs personnages de la chapelle perçus, à juste titre, comme trop païens.

Un but pour demain

Puis nous arrivons au 20 e siècle et jusqu’à nos jours, période durant laquelle les traditions populaires s’effacent et disparaissent.

Et j’en viens à mon dernier point, pour conclure : quelle röle peut encore jouer la chapelle de Caestre dans le futur ? Lui trouver une nouvelle vocation permettrait sans doute de la sauver des conséquences de la disparition progressive du culte et de la dégradation inévitable qui s’en suivrait töt ou tard.

Je pose donc la question de savoir s’il n’est pas temps de lui redonner une nouvelle fonction comme centre d’exposition et d’études des croyances populaires en général, et sur la tradition des Trois Vierges en particulier, en Flandre et en Europe .

Et pourquoi ne pas redonner une vie à la légende des Trois Vierges en relançant l’ommegang sous forme d’un cortège qui pourrait également retracer l’histoire de la chapelle et du village de Caestre ?

Je suis sûr que, si un référendum était tenu à Caestre, une majorité de Caestrois serait d’accord pour redonner vie à un cortège historique sur base l’ommegang et de la légende des Trois Vierges et du chevalier aveugle.

Dans la tempête de l’histoire les habitants de Caestre ont toujours dû s’occuper eux-mêmes de leur chapelle, de leur langue, et de leurs traditions. Il en sera également ainsi demain ou il ne sera plus. Je vous remercie.

Wido van Kaaster
(Vlaams feest, Kaaster, 06 07 2008)

Gepubliceerd

23.08.2012

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