La charte bilingue de l’Institut Régional de la Langue Flamande/ Akademie voor Nuuze Vlaemsche Taele (ANVT) ne fait pas l’unanimité, à en croire les nombreuses réactions à mon article sur Kaester/ Kaaster. Ces lecteurs me demandent mon avis sur les propositions concernant la bonne ville de Bergues pour laquelle l’ANVT suggère le nom de Bergen.
Au temps où le territoire de Bergues avait l’aspect d’une presque île face à la mer, Winoc (640/650 -717), disciple de Bertin qui fonda l’abbaye de Saint-Omer, y établit un premier monastère sur une élévation appelée le Groene Berg ou Groenberg. Comme c’est souvent le cas, le site était certainement l’emplacement d’un culte païen à l’origine. Selon les sources : Gruono(m) Berg en 857. Les comtes de Flandre transformèrent petit à petit la ville en un solide bastion. En 944, une mention latine précise ad castrum quod dicunt Bergam. Bergam, du germanique Berga qui signifie ‘Berg’ (mont, colline,). C’est donc ce Groene Berg, cette ‘colline verte’, qui est à l’origine du nom de la ville. L’aspect militaire de l’endroit est également exprimé par la dénomination Castrum Bergense ou camp (militaire) sur la colline.
La ville qui se développa autour du Groenberg prit pour protecteur Saint Winoc, comme il était coutume au temps de la christianisation, et devint Sint-Winoksbergen. Ce nom figure, avec ou sans la mention ‘sint/saint’, et sous différentes orthographes, sur les cartes de Flandre et des anciens Pays-Bas. La carte de Flandre de 1592 dessinée par Mathias Quad mentionne Winoxbergen, la carte des XVII provinces de Willem Blaeu (1617) Wynoxberge. Un nom un peu long pour nos cartographes qui utilisent également l’abréviation Berghen, Berge ou Bergen. La carte de Flandre de Gerardus Mercator (1540) mentionne Berghen, de même que la très belle carte de l’évêché d’Ypres signée Joan Blaeu Bergen (1662).
Ceci étant dit, le nom exact de Bergues restera Sint-Winoksbergen, en français Bergues-Saint-Winoc, jusqu’à la Révolution française. Preuve en est que les Révolutionnaires rebaptiseront Bergues-Saint-Winoc, Bergues-sur-Colme, ce qui n’aurait pas été nécessaire si le nom courant avait été Bergues/Bergen.
Conclusion: c’est une erreur de conclure qu’un nom abrégé pour de simples raisons pratiques puisse avoir pris la place du nom officiel d’une commune. Sint-Winoksbergen est le seul nom de Bergues connu dans les Pays-Bas historiques. C’est un nom qui situe la fondation de Bergues aux premiers temps de la christianisation de la région. C’est un nom qui rend unique cette belle ville de Flandre. Il évite les amalgames avec les autres Bergen en Europe : Bergen/ Mons dans le Hainaut, Bergen op Zoom aux Pays-Bas, Bergen en Hollande du nord, Bergen en Basse-Saxe, Bergen en Norvège, etc. Confusions et problèmes garantis à notre époque digitale.
La préconisation du Cercle Andries Steven pour le nom flamand de la ville de Bergues est donc Sint-Winoksbergen. Il serait également judicieux que la ville profite de l’occasion, si tel n’était pas encore le cas, pour valider son nom historique en français: Bergues-Saint-Winoc.
Wido Bourel
Vice-président du Cercle Andries Steven Kring
Auteur du livre Olla Vogala, histoire de langue des Flamands, en France et ailleurs paru aux éditions Yoran Embanner.
25.10.2020
Je suis heureux de pouvoir vous parler ici de Caestre pour trois raisons: la première c’est que j’y ai vécu durant les vingt premières années de ma vie; la seconde est que j’y ai lancé le premier cours de néerlandais (qui n’était pas un cours de Flamand occidental comme certains l’affirment aujourd’hui), cours qui fut plus tard pris en main par mes successeurs Messieurs Jean-Paul Couché, aujourd’hui président de l’Institut Régionale de la Langue Flamande, et Jean-Charles Decoopman; la troisième, c’est que j’apprends par les journaux que Caëstre devient Kaester, maintenant que la commune adhère à la charte de la signalétique bilingue Oui au flamand.
Je trouve bizarre que tout ceci se fasse dans l’ombre, sans liens ni échanges avec les gens de Caestre, ni avec des spécialistes en toponymie. Il existe pourtant des spécialistes locaux qui connaissent la toponymie régionale, font des recherches dans les archives, et pourraient être consultés. La langue et la toponymie flamande ne constituent pas un monopole mais appartiennent à tous les Flamands, et celle de Caestre à tous les Castrois. J’ai moi-même travaillé avec le regretté linguiste Cyriel Moeyaert sur les registres paroissiaux de Caestre. Il y a trois ans, j’ai publié les travaux de C. Moeyaert sur la toponymie locale. Mais tout ceci ne semble guère intéresser l’Institut de la Langue Régionale Flamande. Pourtant, ils connaissent ces publications et ils savent comment nous joindre.
Sur quelles sources historiques l’Institut de la Langue Régionale Flamande se base t-il pour faire ses choix? Prenons l’exemple de Flêtre, village voisin de Caestre. Le choix de Vleeter, imposé par l’Institut de la Langue Régionale Flamande, n’est étayé par aucune source connue. Les sources historiques mentionnent Fleterne (1072 et 1075), Vleterne (1284 et 1288). Les cartes du 16ième siècle, comme celle de l’Atlas Major de Joan Blaeu datant de 1665, mentionnent tout simplement Vleteren. La même orthographe donc que celle des communes de Oost-Vleteren et West-Vleteren en Flandre occidentale. Il ne faut pas être membre d’une société savante pour le savoir : il suffit d’aller déguster une bière trappiste à West-Vleteren pour savoir comment s’écrit Vleteren en Flamand occidental comme en néerlandais.
Même chose pour le village de Méteren quelques kilomètres plus loin : il n’y avait rien d’autre à faire que d’enlever l’accent aigu du premier ‘e’. Méteren s’écrit donc Meteren et non pas Meeter en flamand/néerlandais. Meteren qui viendrait du celte ‘matrona’, est mentionné Meternes dans une source de 1158. Ensuite il y a unanimité pour l’orthographe Meteren sur toutes les cartes de Flandre et des Pays-Bas historiques depuis le 15e siècle. Dans ces deux cas, la tradition orale ne peut l’emporter sur cinq siècles d’histoire. Il fallait donc choisir Meteren et Vleteren. La prononciation dialectale de ces deux noms ne modifie en rien leur écriture.
Je pourrais continuer et vous faire les mêmes commentaires sur les traductions de Herzeele, Sainte-Marie-Cappel, et j’en passe. Pourtant, la toponymie est une science sérieuse. Avec les choix de l’Institut de la Langue Régionale Flamande, la signalétique bilingue de notre Flandre tourne trop souvent à la farce.
J’ai conservé Caëstre, le village de ma jeunesse, pour la fin.
Si l’Institut fait le choix de noms historiques pour la signalétique bilingue, il se doit d’utiliser les noms retrouvés dans les archives, sur les cartes, etc. Pour Caestre on a théoriquement le choix de toute une série de noms attestés historiquement. Je vous en donne une liste qui n’est pas exhaustive: Castris (1174), Castre (1188), Caestere (1328), et Caester sur la célèbre carte de Mercator (1540). C’est donc Caester qui aurait pu être choisi sur base des sources existantes.
Si l’Institut donne priorité à la linguistique plus qu’à l’histoire, alors il se devait de faire le choix de Kaaster et non pas de Kaester. ‘Kaaster’ pour éviter une orthographe archaïque et faire le lien entre le flamand occidental et sa version moderne qui est le néerlandais.
Conclusion: Le choix de Kaester est révélateur car il montre le manque de rigueur scientifique dans les choix des tenants de la charte ‘Oui au flamand’. Kaester, ce n’est pas une orthographe attestée par les sources et, linguistiquement, c’est l’orthographe archaïque de Kaaster en flamand/néerlandais d’aujourd’hui.
Mon village s’appelle KAASTER!
Wido Bourel
Vice-président du Cercle Andries Steven Kring
Auteur du livre Olla Vogala, histoire de la langue des Flamands, en France et ailleurs paru aux édtions Yoran Embanner
23.10.2020